Par une fraîche matinée de novembre, la plage de Trestrignel devient un point de rencontre des seniors. Iels ne sont pas adeptes des pratiques intenses, mais nombre d’entre elleux se baignent régulièrement en eau froide.
« Je vais dans l’eau toute l’année. À cette époque, elle est encore assez chaude pour rester dix minutes. Dans un mois ce ne sera plus que cinq », explique Jean, habitant de Perros-Guirrec, à la carrure solide et à la peau fanée par l’âge. Avec sa compagne, Françoise, iels se baignent deux fois par semaine, peu importe la température. Le couple, qui habite à moins d’un kilomètre de la mer, a gardé ses habitudes matinales pendant le deuxième confinement. « En mars, les plages étaient interdites, c’était énervant, on se sentait moins bien. C’est mauvais pour la circulation sanguine de ne pas bouger », déplore le vieil homme encore fringuant. « D’ailleurs notre médecin nous dit de continuer ».
10% des licencié·e·s ont plus de 60 ans
En 2019, les fédérations françaises comptaient près de 2 millions de licenciée·s de plus de 60 ans. Rapporté au total des licencié·e·s français·e·s cette année-là, les seniors représentaient plus de 10% de l’effectif des associations et clubs sportif·ve·s français·e·s.
Alain Calvez fait partie de ces seniors actif·ve·s. Rien n’arrête ce féru de vélo. Pendant le confinement, tous les deux jours, le sexagénaire parcourait 27 kilomètres, tout en restant dans le périmètre d’un kilomètre autour de son domicile. « C’est difficile d’avoir la volonté de faire ça tout seul, le groupe permet de sortir de son lit [NDLR, se motiver] ». Parmi la quarantaine de licencié·e·s, « la majorité des membres du club a complètement arrêté », note le retraité.
Des pratiques spécifiques et « bénéfiques »
Le nombre de licencié·e·s seniors invisibilise une partie des sportif·ve·s âgé·e·s. En effet, la majorité de l’activité physique des personnes âgées ne se fait ni en club, ni dans une association. La marche, la course à pied ou la natation sont des pratiques privilégiées par les seniors, sans grande répercussion dans les chiffres des fédérations. La Fédération française de natation compte pas moins de 512 015 licencié·e·s. Et pour cause, l’accès aux infrastructures n’est pas réservé aux clubs.
En 2009, 16% des Français·e·s entre 70 et 75 ans déclaraient faire partie d’un club ou une association sportive. Proportion assez faible quand on sait que 34% d’entre elleux faisaient de l’activité sportive de manière spontanée, pas à la portée de tou·te·s.
Karl Chaory, docteur en médecine de réadaptation à Rennes, vante les bénéfices de l’activité physique en groupe chez les publics fragiles.
« Les bienfaits du sport touchent la partie cardio-respiratoire. La pratique sportive apportent aussi des avantages psychologiques et psychosociaux . »
Le sport permet également de développer une plus grande résistance contre la douleur. Le spécialiste poursuit.Selon lui, c'est aussi une question d’ « amélioration du sommeil et de l’hygiène de vie, parce qu’à partir du moment ou l’on fait du sport, on fait attention à ce que l’on va manger ». Le médecin ne recommande pas de pratique intense, mais de la marche, du vélo ou du renforcement musculaire. Des exercices que l’on peut faire sans club de sport, sans infrastructure spécifique.
Oublié·e·s parmi les oublié·e·s
D'autres seniors manquent cruellement d'exercice. Présenté·e·s comme les plus fragiles, les résident·e·s d'Établissement d'Hébergement pour Personnes gées Dépendantes (EHPAD) ont été privé·e·s de mouvement. Confiné·e·s pendant plusieurs mois dans des chambres d’une dizaine de mètres carrés, les seniors ne pouvaient pas se rendre dans les espaces collectifs. Le service à la chambre a été imposé à des milliers de pensionnaires privé·e·s d’activités de groupe. À la fin du confinement, « certain·e·s ne savent plus marcher, on voit bien qu’on aura besoin de plus de prise en charge par des kinésithérapeutes », se désole Florence Braud, aide-soignante dans un établissement morbihannais. C’est l’un des symptômes d’une désadaptation psycho-motrice, un syndrome dû au manque d’activité. « Quand nos résident·e·s ne pratiquent plus certains gestes pendant un moment, iels en perdent l’habitude », explique Jacky Fichaux.
« Comme les personnes sont isolées dans leurs chambres, il faut plus de mains pour les repas, il faut plus de mains pour stimuler les résidents », poursuit l’infirmier cadre dans un EHPAD de Lille.
Si le Nordiste affirme avoir eu une rallonge de l’Agence Régionale de Santé pour du personnel en renfort, sa consoeur y voit un problème. « Dans certains EHPAD il y a eu des renforts, d’autres non, ça dépendait des régions », observe Florence Braud, avant de raccrocher pour se rendre au chevet d’un pensionnaire tombé. La majorité des établissements contactés avaient mis leurs animations sportives et culturelles en pause. Les associations et intervenants externes, habituellement chargé·e·s de s’occuper des résident·e·s, trouvent aujourd’hui encore « porte close ». Et pourtant, les pensionnaires sont en demande. Marie-Louise Laurent réside à l’EHPAD de Neussargues-en-Pinatelle, dans le Cantal. « On est plus agiles grâce à la gym, on se sent mieux », résume la pensionnaire de quatre-vingt-six ans « et demi », comme elle tient à le préciser.
Les mesures de confinement décrétées par le gouvernement depuis mars avaient pour but de limiter les risques de contamination au coronavirus. Officiellement, les personnes âgées sont une priorité. Pourtant, les conséquences de l’absence de pratique sportive chez les seniors, à la fois sur leur santé mentale et physique, pourraient avoir été sous-estimée. En voulant protéger la qualité de vie de nos aîné·e·s, c’est peut-être l’inverse qui s’est produit.